Site de Léonce BOURLIAGUET

 

Illustration d’Édouard Bernard

 

Le pauvre Petit rat Justin s’était réfugié tout tremblant sous un champignon gris, une belle filleule qui avait ouvert son élégant parapluie sur le pâturage.

La Hulotte, impatientée de tant de longueur, faisait craquer son bec de colère :

─ J’en aurai le cœur net et je resterai là jusqu’au matin !

─ Jusqu’au matin ! pensait le pauvre Petit rat Justin sous son champignon, jusqu’au matin ! C’est cette malebête qui le mérite, et c’est moi qui l’attraperai, le rhume ! Et, à la lumière du jour, je me trouverai en rase campagne : alors elle m’apercevra, ou un chien, ou un chat. Je dois donc quitter cet abri avant l’aube, coûte que coûte, sinon c’en est fait de tout ce qui se trouve entre ma moustache et ma queue !

Et la nuit continua de tourner, lente ; les étoiles cheminaient vers l’ouest comme une multitude de poussins conduits par la mère clouque, la lune ; les ombres des peupliers viraient autour d’eux comme d’immenses aiguilles de montre ; des brouillards sortaient de la Croustandille et flottaient, allongés dans l’air, immobiles au ras du sol, pareils à des jonchées de lait; il faisait très frais. Mais le plus curieux était ce qui se passait sous la filleule qui abritait Justin. Tout d’abord, il n’y avait point de rosée sous son large chapeau, tandis que tout autour le pâturage s’en trempait peu à peu jusqu’à la racine des herbes. Et puis, des lamelles du dessous de ce chapeau, s’était mise à tomber sans arrêt une espèce de neige très fine : c’étaient les spores pareilles à de petits œufs, que le champignon répandait sur le sol par milliards, dans l’espoir qu’au moins l’une d’elles germerait et donnerait un filet blanc d’où, l’été d’après, sortiraient d’autres filleules grises et frêles.

Justin, sous cette tourmente, devenait tout blanc comme un rat de moulin. Et quand le froid du matin eut cristallisé la rosée en gelée, Justin se confondit avec le pâturage mieux qu’un papillon blanc avec le cerisier en fleur sur lequel il s’est posé. Il quitta son refuge au premier diamant du jour et s’en alla tranquillement sans que la Hulotte pût le distinguer de l’herbe blanche dans laquelle, ton sur ton, il cheminait.

Il descendit tout le vallon de la Croustandille en suivant les berges de la rivière. Le soleil dépassa la crête des collines, et, tirant ses rayons comme des langues, lapa toute la rosée, mais Justin resta saupoudré de blanc. Il n’avait rien compris à cette neige et croyait que ses poils étaient devenus ainsi par l’effet d’une grande frayeur.

 

La lune s’était levée. Il aperçut avec joie la silhouette d’un gros champignon. Il fut heureux de cette rencontre amicale, et il se réfugia dessous pour y attendre l’aube.

Mais c’était un vieux champignon déjà gâté. A un coup de vent plus fort, il lui tomba dessus de tout le poids de sa chair molle et gluante. Justin faillit en être étouffé. Il se dégagea à grand-peine et se blottit tout le reste de la nuit derrière une motte herbue, à la manière des Lièvres qui dorment à la belle étoile.

 

Les aventures du Petit rat Justin