Ensuite, ç’avait été le calcul, sans incident, puis, un peu avant dix heures, la lecture : une description de la montagne par Monsieur Hippolyte Taine. Mlle Sirvente avait lu le morceau en articulant bien, ses lunettes posées bas sur son long nez comme si elle avait regardé au fond d’un puits, et ses sourcils envolés haut dans son front ridé, ce qui l’affligeait d’une physionomie risible comme par l’effet d’un miroir déformant. Garçons et filles reprenaient le texte tour à tour, leur visage si profondément enfoncé dans les livres qu’ils y semblaient pris au piège. L’élève lecteur égrenait les mots d’une voix monotone qui, telle la triste musique d’un couvre-feu, semblait une invitation au sommeil.
« Le-so-leil-ne-pé-nè-tre-pas-sous-cet-te-noi-re-ra-vi-ne,-le-ga-ve-y-per-ce-sa-rou-te-in-vi-si-ble-gla-cée. » (…)
Les élèves virent que Mlle Sirvente s’était complètement endormie, ce qui arrivait assez fréquemment. La classe se retourna vers Baëch dont elle prenait les ordres lorsque l’autorité de Mlle Sirvente subissait cette éclipse naturelle. D’un geste Baëch fit le signe des récréations spontanées. L’habitude était, lorsque la vieille demoiselle s’assoupissait ainsi, qu’on s’accordât une sortie supplémentaire. On évacuait la classe, tout doux, tout doux, sur la plus tendre plante des sabots, chut ! chut ! taisez-vous ! pas de bruit !... Et, une fois dans la cour de l’école, étroite terrasse suspendue au-dessus des toits et des jardins du village, on jouait comme si c’eût été une récréation officielle, mais sans pousser un cri, sans dire un mot, sans faire le moindre bruit, toujours à pieds précautionneux, à mains prudentes, jusqu’à ce que Mlle Sirvente, se réveillant et ne se rappelant plus bien ce qui s’était passé, rassemblât tout son petit monde…
La montagne endormie