Site de Léonce BOURLIAGUET

 

Soyons bons camarades

 

Instructions du 20 juin 1923 : « La vie scolaire lui (à l’instituteur) fournit à tout moment l'occasion de faire pratiquer à l'enfant les règles de la morale ».

 

La classe commença. La maîtresse monta sur son estrade, s’assit solennellement sur son bureau, et nous ne vîmes plus d’elle que sa tête qui semblait coupée et exposée dans une vitrine. Ses yeux s’effacèrent derrière le reflet inexpressif de ses lunettes, et sa voix soudainement fut si changée que nous autres, les nouveaux, nous regardâmes dans la salle pour voir si nous étions bien seuls avec elle : c’était son organe de sermonnaire(1) , spécialement approprié à la leçon de morale qu’elle allait commencer, lent, traînant, sanctimonieux(2) et lugubre. Et cette leçon, je ne l’ai jamais oubliée, tellement elle fut bien illustrée. Elle roulait, en ce premier jour, sur la bonne entente.

Dès les premiers mots, un autre changement intervint dans la physionomie de la maîtresse, aux traits habituellement mous et placides : elle prenait en pérorant un air majestueux et terrible, comme si elle avait voulu nous manger à la sauce Robert.

— Mes enfants, nous dit la tête coupée de l’ogresse Craqueloup, mes enfants, nous voici rassemblés dans votre école, où vous allez vivre ensemble toute une longue année. Vous devez vous comporter en bons petits camarades, vous connaître, vous entr’aider, vous aimer ou tout au moins vous supporter. Seriez-vous différents du monde, où tout nous convie à cette bonne entente ? Voyez autour de nous : les arbres vivent côte à côte sans se disputer, les radis et les carottes naissent mêlés, les deux roues d’une charrette tournent d’accord, et aussi les ailes du moulin à vent, qui pourtant sont quatre, le blanc et le noir cohabitent paisiblement sur le plumage de la pie ainsi que sur l’épiderme du porc domestique, et se mêlent fraternellement dans le café au lait... Je pourrais multiplier les exemples. Bref, tout, autour de nous, nous donne l’exemple de la bonne entente et de la camara...

À ce moment éclata sous les fenêtres de l’école une terrible fanfare de chiens furieux déchaînés à se dévorer. Les trois pointers de Mme Craqueloup venaient de se jeter sur les pauvres bergers qui, ayant accompagné leurs jeunes maîtres à l’école, étaient malencontreusement restés à les attendre dans le carrefour, et cela faisait maintenant, sous un nuage de poussière, un effrayant buisson de gueules, de dents, de pattes et de queues à ne plus s’y reconnaître. La maîtresse courut à la fenêtre, et toute la classe se jucha sur les tables pour mieux voir...

 

Pin-Parasol

 

(1) Qui convient au sermon

(2) Qui inspire un respect quasi religieux