« Je vous assure que je m’attends que reparaisse un jour cette idée d’un pédagogue de la Révolution, qui proposa d’envelopper les sucres d’orge dans des papiers portant des règles de grammaire, des dates historiques, la table de multiplication et des maximes civiques et patriotiques.
Eh bien, si cette bimbeloterie pédagogique amuse, - inquiète aussi parce qu’elle incite les maîtres à tourner le dos aux grands principes simples et lumineux de la bonne vieille lanterne, - que dire de ceux qui prétendent chaque matin l’avoir inventée, construite et allumée, cette Lanterne ? J’en vois qui prennent des airs de prophètes au désert, discourent, gesticulent, dogmatisent, invectivent, découvrent des axiomes, posent des postulats, fignolent des définitions; et, comme autour d’Ezéchiel en sa vision, voici que le sable s’agite autour d’eux, que des choses bougent ; et que l’on voit surgir, se chercher, s’unir des ossements pour reconstituer, non des êtres inconnus et prodigieux, mais nos bonnes bêtes d’étable, - celles de la tradition, simplement un peu moins bien modelées, et avec des confusions de queues, d’oreilles et de moustaches. Dis, Mowgli, ces découvreurs d’Amérique, ces polisseurs de vieilles lunes, savent-ils que la pédagogie, bonne ou mauvaise, a des racines, bonnes ou mauvaises elle aussi, mais dont il faut tenir compte, ou n’être qu’un audacieux imposteur ?
Sérieuse ou burlesque, l’histoire de la pédagogie devrait être une des préoccupations essentielles de nos écoles normales. Cela mettrait nos jeunes maîtres en garde contre les impudentes « noveletés », les fantômes de midi, les repasses de café et les habiles stoppages. Cela les garderait de brûler le tableau noir déclaré inutile et d’allumer leur cigarette avec l’emploi du temps. Cela leur apprendrait enfin de reconnaître les bons guides. Renan les définit ainsi : « Les véritables hommes de progrès sont ceux qui ont pour point de départ un respect profond du passé. »
MOWGLI. [L’École et la Vie n° 14 – 29 mars 1952 (p. 141-142)
L.B. a tenu, de 1946 à 1957, sous le pseudonyme de Mowgli, cette chronique (182 textes) où il relatait de façon spirituelle et parfois caustique, les observations qu’il faisait lors de ses visites de classe. « L’École et la Vie » était un journal hebdomadaire, destiné aux instituteurs et institutrices, très lu à l’époque.