Site de Léonce BOURLIAGUET

 

 

Le personnage principal de ce roman inédit, Pin, se rend à l’invitation d’une normalienne, Louise Belleau, qu’il courtise, dans la ferme de ses parents. Il se déplace à bicyclette par des routes qu’il emprunte pour la première fois.

 

 

« Dès que sorti de Tissac (=Thiviers) par le sud, c’est un changement complet de décor. Le noyer succède au châtaignier. Les grands chênes se rabougrissent, les pins sont plus nombreux et plus épais, le sol revêt la pâleur de la craie. Le vert frais du Limousin s’assombrit, l’herbe se fait moins luxuriante, mais partout la vigne est au garde-à-vous comme dans une attente annuelle de la revue du 14 juillet.

La grand’route suivait de vallons frais. Le poteau qui signalisait Lajarrige m’engagea sur une routelette montante, et le causse solitaire, la broussaille, les champs de fétuque, les cailloux blancs partout à fleur de sol sur une terre rouge, me révélèrent à perte de vue comme un commencement d’Afrique.

- Mon Dieu ! pensai-je, ces Belleau habitent dans un désert ! Il n’est que neuf heures du matin et cette aridité a déjà bu toute la rosée !

En quoi je me trompais, car peu après reparurent en une fraîche oasis des champs de blé et de betteraves, des luzernes et des trèfles prospères, des vignes superbes, le tout empanaché de noyers qui, au prix des nôtres en Limousin, semblaient sortir de chez le coiffeur : pas une branche sèche, point de mousse ni de lichens au tronc. Pas une mauvaise herbe au sol non plus. La propriété était travaillée dans son ensemble : un « mesnage des champs » parfait, pour parler comme le bon Olivier de Serre.

Au milieu de cette verte prospérité, la petite ferme des Belleau, qu’ombrageaient l’orme, le chêne vert et l’if, avait l’air d’un mas provençal ; et, en fait, il y avait tout autour un tel étourdissement de cigales que je n’eusse pas été autrement étonné d’entendre s’y mêler une musique de fifres et de tambourins « tabourinant » pour parler comme le bon Montaigne (…) Cette nature sèche, cette agriculture miraculeuse qui tirait ses sucs du rocher, ces chemins ferrés de cailloux si différents de nos fangeuses cavées limousines étoupées d’ajoncs secs, les petits murs de pierres calcaires où couraient des lézards gris, ces rangées de vignes disciplinées qui tournaient autour de moi comme les pages d’un immense livre, ces envols de perdreaux dans les maïs fourragers, n’était-ce pas un commencement d’émerveillement ?

Les bâtiments de la ferme, en murs de blocs gris sans étage, recouverts de tuiles blafardes, étaient en harmonie de couleur avec l’ensemble du pays, une grisaille douce entre le bleu céleste et le vert végétal. La cour était nette comme une aire à battre et bien rangée. L’odeur acétique du chai, dont les deux battants étaient ouverts sur de fraîches ténèbres, me frappa à la narine dès l’abord. Cette partie-là, restée telle qu’au XVIe siècle, portait encore un toit de pierres disposées comme de lourdes ardoises. Un gros agave à l’entrée du chemin acheva de me mettre en clair sur la sensation qu’on éprouve lorsque, quittant le Limousin luxuriant, boueux, barbare, l’on pénètre dans la grise, sobre et sèche expression périgourdine : c’est là que le nord et le midi, l’ancienne Gaule et la Latinité se sont et restent soudés. Par la suite, cette impression n’a fait que s’affirmer. Ces petites maisons périgourdines constituent la première manifestation d’une nature qui se prolonge jusqu’à la maison de Socrate en passant par la villa de Cicéron.

Mais le moyen de rêver longuement et savamment dès que votre approche est éventée ? Ces petites fermes, comme certaines îles, sont entourées d’une difficulté qui en rend l’abord difficile et désagréable, les unes d’un ressac bondissant, les autres d’un bondissement de chiens. Belleau en avait trois qui fanfarèrent mon approche, me firent les honneurs d’une fantasia vite apaisée par les cris du fermier. »

 

Pin-Parasol