Site de Léonce BOURLIAGUET

 

Sainte Albe

 

Ma mie, toute de dure croûte blanche, pourquoi t’a-t-on donné un nom d’homme ? Ce St Front devait cacher une grande gueule en biseau dans une hypocrisie forestière, comme Paul de Tarse. Je t’ai, pour moi, appelée Sainte Albe. Tu es le seul entassement de pierres imbibées de jus d’harmonium que j’ai aimé, avec ta petite sœur Sainte Albine, la blanche et simple église de Milly, où les poux lumineux des cierges crèvent de honte dans le soleil et où l’odeur riche et violette des pressoirs voisins remplace le bleu gris de l’encens.

Quand, à l’école de Tournepiche assise en l’assiette des crapauds maraîchers, j’apprenais la pédagogie de gens qui ne la savaient pas eux-mêmes, en compagnie de soixante jeunes paysans venus là pour rendre par les méninges la sueur qu’eussent dû naturellement distiller leurs pieds (et vous ne sauriez imaginer combien cela sent plus mauvais !) – ah ! que j’y ai souffert ! - Alors tu fus la consolation de ma solitude et tu m’apparaissais blanche sur le ciel bleu, dans un cadre de roses pompons ouvert au printemps au-dessus des fagots de cellulose morte qu’on appelle des livres.

Tu as gardé comme la peau éclatante d’une femme rousse. Qu’ils devaient donc avoir les mains sèches et propres, ceux qui t’ont bâtie ! Des mains de meuniers. Et sans doute avaient-ils des mains de charbonniers, les maçons des bâtisses parisiennes, si noires, avec des lividités d’os desséchés – probablement par la politique.

Mais nos amours étaient à caractère conjugal, car c’est dans les ténèbres d’hiver que nous étions le mieux ensemble, comme en un lit, la lampe éteinte. La vieille de Noël, tu m’enveloppais soudain de ton spasme musical et c’était, dans le grand ciel noir et brumeux, comme une éclatante aurore boréale, un éparpillement prodigieux des roses de l’éternel matin.

En te voyant si droite, si divinement élancée au-dessus des toits serrés de ce quartier lépreux, je te comparais en mon cœur à une prostituée adorable et pauvre, qui vient de laisser tomber ses guenilles en rond autour de ses petits pieds. Et je remuais vaguement le désir d’être capitoul de cette bonne ville afin de pouvoir t’offrir une robe de palmiers digne de ton profil oriental : il y aurait alors à ton faîte un vol de blanches colombes familières qui seraient dans ton ciel, vers le ciel, l’éparpillement de ta prière minérale en gouttes irisées.

 

La flûte d’ébène

 

Élève à l’École normale de Périgueux, Léonce Bourliaguet supporte mal la sévère discipline imposée aux élèves instituteurs. Sa pensée s’évade vers les coupoles blanches de la cathédrale Saint Front qu’il voit au loin, par-delà la rivière. Saint-Front devient poétiquement Sainte-Albe, la Blanche, la consolatrice, l’amie…