Site de Léonce BOURLIAGUET

 

La peste à Sarlat

« Août 1521, arrivèrent les lansquenets.

C’était un corps de grands lurons qui traversaient le Sarladais pour aller à Fontarabie. On les eut trois jours à chanter, boire, manger, jeter les dés sur les tambours, baragouiner des insolences dans tous les patois d’Allemagne : quel soulagement donc quand ces bruyants s’alignèrent pour repartir ! On s’en crut délivré quand on n’entendit plus que leurs fifres ! Malheureusement, il en restait un, sur la paille d’une écurie, un homme fait comme un cheval et qui avait une enflure généralisée. Il ne cessait de crier « Trinc ! trinc » (A boire !) et de boire comme un furieux. Le sieur Pagés, chirurgien de la Santé, vint l’examiner, recula, fit une mine sinistre, ne dit rien, mais éloigna tout le monde du lansquenet qui mourut seul dans la nuit.

Prévenus, les consuls firent ensevelir le soudard au plus vite et confièrent la désinfection de l’écurie au sieur Pouch, parfumeur de la ville. Trop tard ! La PESTE était dans Sarlat, simultanément signalée à la Rigaudie, au couvent des Cordeliers, à la Croix-Nuguet, place du Peyrou, à la Bouquerie, partout…

Les malades ressentaient soudain une chaleur intense, suivie d’un violent mal de tête ; ils étaient frappés d’agitation et de stupeur ; puis ils enflaient, se couvraient de taches livides ; et c’était au bout de deux jours de fièvre, la mort, suivie d’une décomposition immédiate, dégageant d’effroyables puanteurs.

Les consuls crurent parer à la contagion en décrétant la réclusion des malades en leurs propres maisons « jusqu’à ce que l’autre moitié de la lune soit outre » puis ils passèrent brusquement à la décision contraire : « Attendu le dangier de peste, bosse ou mal chau, toute personne menacée d’infection sera gectée hors de sa maison et vuydera la ville. On y sera tenu par grosses amendes ou sinon, par force et grands coups. » Des huttes furent rapidement construites à la Poulgue et ce coin de campagne devint un lieu d’agonie. Cependant était décrétée « la fermeture » des rues atteintes, leur nettoyage par le bourreau et le parfumeur, tandis que les maisons vides étaient condamnées à l’aide de barres de fer. Nuit et jour brûlaient dans les places et les carrefours des « feux de misère », bûchers de genévriers dont l’âcre résine se respirait partout et où, les foyers familiaux ayant été éteints, chacun venait prendre une flamme nouvelle et pure. En vain. Il y avait maintenant plus de cent malades. Le Sénéchal s’était réfugié à Cadouin, la plupart des consuls à Domme ; tous ceux qui avaient un lieu ailleurs quittaient Sarlat et les murs de la petite ville ainsi vidée avaient des échos de sépulcre.

La Peste ne tarda pas à frapper dans le quartier. On entendit résonner dans la petite rue sombre la sonnette lugubre des « corbeaux ». Ils apparurent, portant sur le visage des masques bourrés d’aromates qui les faisaient ressembler aux freux des falaises de la Dordogne. Le conducteur des crocs allongea sur un cadavre sa griffe de fer et le malheureux fut ainsi traîné jusqu’au Pontet, le long de la Cuze où on l’enfouit à la hâte près de la vieille chapelle construite en ce triste lieu après la peste de 1280, sans un tintement, sans un bourdon de prière, sans un requiescat… »

 

La vigne du Paradis « Le berceau Périgourdin »