...Tandis que nous millepattions(1) vers les délices du camp de Mailly, la bataille de Verdun commença son tintamarre. Cheminant vers le sud par des routes enneigées, sous un beau soleil matinal, nous entendîmes derrière nous le front que nous venions de quitter entrer en volcan. A ce grondement formidable et continu, nous reconnûmes les orgues magistrales des grandes Messes sanglantes et il nous apparut clairement que notre période de repos ne traînerait pas.
Effectivement : à peine le temps de nous épouiller, et ce fut l’habituelle séquence : alerte, camions, embarquement, course rapide par l’Argonne, débarquement sur la Voie Sacrée et plongeon dans le Vésuve (...).
A notre arrivée, l’offensive allemande, comme la nôtre en Champagne, comme celle de tous les bourdons qui donnent dans une grosse toile d’araignée, venait de s’empêtrer dans les champs de vigne du diable.
Les quinze jours que nous passâmes dans la redoute de Froide-Terre furent ceux d’un secteur ordinaire, avec seulement un fracas d’artillerie et des fricassées d’infanterie plus denses et plus continues, cependant qu’à droite et à gauche, tous les autres secteurs, se déchaînaient des tonnerres de Dieu. Ah ! mes amis, lorsque mes courses nocturnes d’agent de liaison me conduisaient sur les hauteurs d’où l’on découvrait tout le champ de bataille gorgé de nuit, de l’Argonne à la Woëvre, quel spectacle pyrotechnique j’avais sous les yeux ! C’était une préfiguration de la fin du monde par le feu, des milliers de fusées inondant le ciel de leur lueur verte sur cinquante kilomètres ininterrompue, les rougeurs hagardes et sautantes des canonnades, les processions des spectres de la poudre et de la fumée voilant de leurs transparences errantes l’incendie des villages, avec les monts entrevus bossus comme si la terre elle-même faisait le gros dos sous cet infernal déchaînement ; et l’air rudoyé, tonitrué, brassé, fracassé comme en une vaste débâcle de l’espace, un effondrement du ciel de cristal des Anciens, les obus sifflant et tombant partout comme des boulons de cet univers disloqué et croulant. Mon rôle me lançait toujours par les glèbes truffées de ferrailles encore chaudes, tandis que le PC et mes camarades restaient terrés comme des blaireaux dans les casemates de la redoute, et j’assistai mieux que quiconque, des premières loges, au grand opéra franco-allemand de toutes les nuits, les yeux brûlés, les tympans fiévreux, le nez rempli des parfums les plus rares de la chimie éclairante, fusante et percutante. Et, au milieu de ce gigantesque tohu-bohu, des moments de subite et profonde douceur, un arrêt total des tonnerres et des glissades aériennes, accalmies rares et courtes, inexplicables si ce n’est par la permission que les artilleurs s’accordent de se moucher. Ces minutes de rémission avaient un caractère d’autant plus religieux qu’elles permettaient de prendre l’exacte mesure de la folie humaine entre l’étoile paisible qu’on apercevait là-haut entre deux haillons de poudre et la petite fleur blanche dont le printemps piquait l’ombre, à mes pieds, là où subsistait un moignon de broussaille.
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