Site de Léonce BOURLIAGUET

 

LE BON PETIT NUAGE

 

La locomotive d’un train qui traversait la campagne lâcha au soleil un joli petit nuage de vapeur : tout rond, tout blanc, tout léger, il prit son vol dans l’air limpide en disant :

— Soyons utile à quelqu’un. Ma vie sera courte ; je veux qu’elle soit bonne.

Il aperçut des blés verts qui semblaient avoir grand’soif. Il passa sur eux et leur envoya premièrement son ombre. Les petites tiges lui criaient :

— De l’eau ! De l’eau, gentil nuage !

Il s’efforça de leur en donner. Hélas ! il ne pouvait pleuvoir ! Même en se pressant comme un citron ! Même en se tordant comme un linge !

— Je ne suis qu’un petit nuage sorti du train, leur dit-il humblement, mais si je rencontre les grands nuages venus de la mer, je vous les enverrai.

Penaud d’être aussi sec, il s’adressa à des oiseaux qui bâtissaient leurs nids, et dit :

— Doux oiseaux, prenez de ma laine à plein bec pour que vos petits aient le confort moderne. Je vous l’offre toute donnée.

Les oiseaux vinrent prendre de la laine du nuage. Mais ils ne purent en saisir un seul brin et dirent, découragés :

— Ta laine est trop fine. Nous préférons celle des moutons !

— Soit, dit le bon petit nuage. Alors je vais m’enrouler sur la quenouille de Nanette, la vieille bergère, qui n’en a plus assez pour son écheveau. Nanette vit bien un gros flocon de laine blanche sur la fourche de bois qu’elle tenait en l’air, mais elle ne pouvait en tirer aucun fil. Elle se mit donc en colère, et, soufflant dessus, chassa le bon petit nuage.

Celui-ci, un peu triste, songea :

— Allons servir de cache-nez à ce jeune garçon qui garde les oies.

Il s’étira donc en cache-nez et s’enroula autour du cou du garçon. Le goujat se mit aussitôt à tousser et à éternuer en criant :

— Qu’est-ce que c’est que ça ? D’où me tombe ce cache-nez ? Dans quelle poudre de perlimpinpin l’a-t-on mis pour le préserver des mites ? Et puis, c’est une belle cravate rouge que je voulais. Ôte-toi de là, cache-nez du diable !

— Qu’il est difficile de faire le bien ! pensa douloureusement le bon petit nuage. Et, se déroulant, il s’en alla.

Comme il se demandait s’il ne vaudrait pas mieux s’évaporer tout de suite, il aperçut un chasseur qui visait une grive. Il se dépêcha d’aller se mettre juste au bout du fusil. Le chasseur fut bien étonné de voir une boule de fumée sortir de son arme. Il se dit :

— Quoi ? Je n’ai pas pressé la gâchette et le coup est déjà parti ! Quoi ! le coup est parti et je n’ai pas entendu la détonation ! Suis-je sourd ? Suis-je ivre ? Suis-je fou ? Et qu’est-ce qui m’arrive ? Serait-ce un rêve… Ou plutôt un cauchemar ?

Pendant qu’il dévidait ainsi son raisonnement pour y voir clair en cette sorcellerie, la grive avait eu le temps de s’envoler. Le bon petit nuage se dit :

— J’ai sauvé ce pauvre oiseau. Ma vie n’a pas été inutile. Mon rôle est fini.

Et, content de soi, puttt ! il disparut sans bruit, comme une bulle de savon éclatée.

 

Contes du Chabridou